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"Et si...", nouvelle de Marie C.



Les deux hommes patientaient devant un Lavomatic dans lequel se croisait la jeunesse du quartier de Chinatown situé au sud de Manhattan à New York. Attendant dans le froid sans café pour se réchauffer, ils commençaient sérieusement à trouver le temps long en cette fin de matinée de novembre. Quelques heures auparavant, un appel radio émis du poste central de Manhattan signalait un meurtre près de Canal Street. Deux officiers de police affectés tout récemment dans le quartier chinois patrouillant dans le secteur interceptèrent l’appel et se rendirent à l’adresse. L’effervescence qui régnait dans la rue donnait déjà le ton. La colère des commerçants était plus que palpable. Le syndicat du crime laissait depuis quelques semaines des cadavres un peu partout dans le quartier. Les victimes étaient de nouveaux immigrants qui se lançaient dans les affaires. Aujourd’hui, rien ne dérogeait à la règle, M. Wong le gérant du Lavomatic  avait reçu lui aussi un avertissement à prendre plus qu’au sérieux.
Les deux policiers avaient dû délimiter le périmètre de sécurité et gérer l’affluence qui s’amassait de plus en plus devant la boutique. La foule, telle une sangsue s’accrochait à l’espoir d’apercevoir un morceau de viande ou même un peu d’hémoglobine. Se nourrir du pire, colporter une rumeur à la vitesse de l’éclair. Les spéculations allaient bon train. Un crime du gang Ghost Shadows ? Un gérant qui n’avait pas payé sa dette ? Pour le moment, les experts de la scientifique finissaient leur travail : prendre les derniers clichés de la scène de crime et récolter les prélèvements sans oublier aucun indice. Le plus jeune des officiers, Kim Ball regardait les deux assistants du légiste refermer d’un coup sec le sac noir, embarquant pour la morgue ce qui restait de la victime. Il revoyait le corps coupé en plusieurs morceaux dans la machine à laver, avec planté au milieu du front, un as de pique transpercé d’un couteau.
Il sentait que ses beignets d’oreilles de porcs frits avalés plus tôt au petit déjeuner faisaient l’ascenseur dans son estomac et qu’il n’allait pas tarder à en faire les frais.
Il avait préféré recueillir la déposition de M. Wong, complètement hystérique quant à la nouvelle réputation de son commerce. Il prenait des notes tant bien que mal et tentait de se concentrer sur la description de la mystérieuse jeune femme qui avait pris la fuite en découvrant le corps. Le chinois parlait trop vite et lui donnait mal à la tête. Kim Ball passait un sale quart d’heure maudissant son coéquipier. L’officier Chang Li, lui, avait plus d’expérience et de chance sans doute, car pendant qu’il fumait sa cigarette d’eucalyptus, il contrôlait l’identité des clients éjectés dehors avec leur bac à linge. Il attendait les premières conclusions du médecin légiste encore à l’intérieur, ne prêtant aucune attention lorsque son collègue l’avait rejoint. Kim prit la parole :
— D’après Wong, c’est une jeune femme qui a découvert le corps en voulant mettre son linge à laver. Elle s’est tirée en vélo sans récupérer ses affaires.
— On a le descriptif de cette femme ? demanda Chang sans le regarder.
— Oui apparemment. Taille moyenne, de longs cheveux bruns, tenue sportswear, il la voit souvent ici. Elle est du quartier. Il connait sa sœur qui travaille dans un restaurant sur Baker Street.
— OK, on l’ajoute à la liste des suspects. T’as autre chose concernant les entrées et les sorties de la boutique ? Il a vu quelqu’un hier soir ou ce matin ?
Kim reparcourait ses notes fraîchement prises, mais avec les doigts gelés, il avait du mal à tourner les pages.
— La porte de derrière a été fracturée, le suspect a très bien pu passer par là pour amener le corps. Il n’y a pas de caméra de surveillance, répondit-il en anticipant la future question de Chang.
— Hmmm… le nom du resto ? dit-il d’un ton hautain. Kim alla répondre, mais fut coupé par le médecin légiste qui sortait du Lavomatic en suivant son équipe.
— Messieurs, ça sent la Triade à plein nez. J’ai bien l’impression, dit-il en enlevant des gants en latex plein de sang.
— Sans déconner doc ? dit Chang d’un ton laconique.
— Oh ! Ne soyez pas blasé mon petit Wang, malgré votre âge vous me paraissez encore jeune pour ce métier.
— Chang. Je m’appelle Chang, rectifia-t-il vexé.
— Oui Chang… Wang ça finit pareil non ?
Kim, plutôt réservé, jubilait du tact du légiste auprès de son équipier. Ne voulant pas installer un malaise, il prit la parole :
— Vous nous confirmez, doc que c’est bien le même homme qui nous laisse des cadavres depuis quelques semaines ?
— Sans aucune hésitation, répondit-il.
— Vous avez une idée précise sur l’arme du crime ? demanda Kim.
— Avec les autopsies des cadavres précédents, je pensais à une scie manuelle, mais la découpe est trop nette. Alors je dirais une scie motorisée, genre tronçonneuse. Les traces laissées sur les chaires et les os me font penser à une tronçonneuse électrique.
Kim palissait en entendant les descriptifs du légiste, ce que ce dernier remarqua.
— Allez donc nous chercher un café mon petit. Vous êtes bien pâlichon par ce froid, lui dit-il en lui adressant un clin d’œil. Chang n’appréciait pas trop ce côté un peu paternaliste du doc et regarda Kim s’éloigner, dépité.
— Sans sucre pour moi petit, cria le doc à Kim, qui sans se retourner leva son pouce.
— OK doc, j’ai une question. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas d’éclat de sang ? On dirait que le corps a été lavé ou transporté d’ailleurs.
— Je pense que votre tueur a ligaturé les membres avant de les découper afin que l’écoulement de sang ne soit pas trop rapide pendant le transport. Je chercherais un sac ou quelque chose qui enveloppe le tout, peut-être même des draps pourquoi pas ?
— Et sur l’heure de la mort ?
— Je dirais qu’elle remonte il y a deux heures. La rigidité cadavérique apparait seulement sur le bas du dos ; donc vers 9 h. Et vu l’heure qu’il est, dit-il en regardant sa montre, il est peut-être encore dans le secteur.
— Dernière chose, pour son visage réduit en miettes, il a été frappé avec un objet ? Je pensais à une batte de base-ball, vu les blessures.
— Il y a effectivement pas mal de contusions et d’hématomes avec une fracture de la mâchoire inférieure. Mais pour moi, ce sont des coups de poing violents qui ont complètement éclaté les pommettes et les arcades et non pas une batte. Une espèce de brute épaisse enfin, vous voyez ce que je veux dire. Le type du genre sérieux cogneur. Il sait ce qu’il fait votre gars. J’en saurai plus à l’autopsie ; d’ailleurs j’y vais. Vous direz à votre collègue que je vous offre mon café.

Perdue dans le labyrinthe des rues animées et bondées du quartier, totalement assommée par ce qu’elle venait de voir, Lin Yu n’avait plus de repère pour trouver son chemin à vélo.
Le brouhaha ambiant, les nombreux magasins de bibelots et les restaurants avec leurs odeurs d’épices lui saturaient le cerveau. Ainsi donc, il était passé à l’acte, comme il l’avait évoqué lors d’un diner. Elle se remémorait un jeu qu’ils avaient fait pendant le repas avec sa sœur Ming et Wu son mari. Le jeu s’appelait : « Et si… » Le but était de se lancer des défis en se créant des situations improbables. Ils avaient plaisanté et ri sur des situations loufoques à aborder des thèmes plus sérieux donnant des réponses parfois plutôt radicales, comme la question : « et si Ming te trompait qu’est-ce que tu ferais ? »
Lin s’en souvenait, car c’était elle qui avait posé la question. Wu avait répondu très calmement en pesant ses mots avec un sourire carnassier : « Si Ming me trompe je les tue tous les deux. Son amant en premier, elle en second. » Il était vraiment sérieux alors. Il l’avait fait. Il avait découvert que sa sœur avait une liaison. Il avait tout orchestré pour tuer Zian, l’amant de sa sœur.
Quand elle avait ouvert le gros hublot de la machine à laver, elle avait reconnu son visage défiguré. Le choc. Son cœur s’était emballé tout de suite. À l’entendre cogner dans sa cage thoracique, le flux sanguin était monté d’un coup dans ses veines, elle était restée paralysée quelques minutes. Figée devant cette fresque d’horreur, elle avait régurgité tout ce qu’elle avait pu. Si Wu avait liquidé Zian, il allait sans doute mettre à exécution ce qu’il avait dit et le tour de Ming allait être proche. D’ailleurs, elle se souvenait de la veille où elle l’avait croisé au Lavomatic. Il paraissait gêné d’y trouver sa belle-sœur et avait senti un malaise lorsqu’elle avait regardé les draps tachés de peinture rouge qu’il avait mis dans la machine à laver. Elle n’avait pas percuté au départ, mais maintenant, elle en était persuadée, c’était du sang.
Tout concordait. Il avait emballé les restes du corps dans les draps. Terrifiée à l’idée de ce qu’elle venait de découvrir, elle téléphona chez sa sœur chez elle pour l’avertir du danger qu’elle courait.
Elle tomba directement sur son répondeur. Absente pour le moment. Elle ne prit pas le risque de laisser de message. Vu l’heure, elle devait être partie travailler. Mais où était son neveu Bao qu’elle devait garder ? Elle essaya son portable. Messagerie vocale. Elle lui laissa en vain un message la sommant de la rappeler au plus vite. Affolée de ne pas pouvoir la joindre, elle essaya directement au restaurant où travaillait Ming en tant que serveuse.
Mais la ligne « Aux Délices du Dragon » sonnait occupée. Le combiné devait être mal raccroché, comme à chaque fois.
En un éclair, elle décida de prendre la direction du restaurant qui était situé à l’autre bout du quartier. L’appréhension ne la quittant pas un instant, elle pédala comme une furie pour aller plus vite. Ses cuisses brûlaient sous l’effort. L’adrénaline lui donnait chaud. La sueur malgré le froid commençait à gagner tout son corps par l’effort. Le trafic étant dense à cette heure-ci, elle slalomait entre les véhicules et les bus en jouant aux derniers moments avec les feux tricolores qui passaient au rouge. Lin allait très vite sur son vélo de course. Pas très loin devant elle, un bouchon grossissait à l’angle d’une rue. Elle décida de le contourner quand un taxi surgit de nulle part et la percuta de plein fouet. Elle fit une chute spectaculaire par-dessus son vélo et atterrit non loin d’un caniveau où les vapeurs des égouts s’échappaient. Elle se fit insulter de tous les noms par le conducteur par cette inattention. Elle tenta de se relever, mais son épaule lâcha sous le poids. Son bras était légèrement ballant. Écorchée à la tête et aux mains, elle ne prêta pas attention au sang qui coulait le long de sa tempe.
Complètement étourdie, elle n’entendait pas tout de suite la sonnerie de son portable. Elle mit une éternité à décrocher, se sentant trop faible.
— Ming… enfin… tu rappelles. C’est moi, écoute-moi…, dit-elle vaseuse.
Avec le bruit de la circulation et encore abasourdie par la chute, elle distingua des bribes de mots lorsqu’elle se rendit compte que ce n’était pas Ming au téléphone. Non. C’était Wu.
— J’ai Bao avec moi, Lin…
Elle se prit le coup de massue sur la tête. Il avait kidnappé son neveu. Pour enfoncer le clou, son téléphone venait de lâcher. Plus de batterie. Elle était incapable de réfléchir, se retrouvait au milieu d’une foule et ne savait plus quoi faire. Tout tournait autour d’elle. Sa vision se brouillait et sa respiration devenait saccadée. Il tient mon neveu en otage. Il veut le tuer pour se venger si je parle aux flics. Il sait que je sais Lin tremblait et était incapable de réagir... Comme statufiée. Faire demi-tour ? Mais pour aller où ?
À cet instant, elle entendit des sirènes de polices qui se rapprochaient. Une ambulance avec deux voitures de police filaient devant elle. Direction l’Est. Le restaurant. Son sang ne fit qu’un tour. Elle pensa immédiatement à Ming. Wu était passé au restaurant s’occuper de sa sœur. Mon Dieu ! Il a été plus rapide qu’elle. Au bord de la rupture nerveuse, Lin s’effondra en larmes. De rage, elle remonta sur son vélo, martela de coups de pied les pédales à s’en arracher les muscles. Il fallait coûte que coûte savoir ce qu’il se passait. Elle arriva à bout de force aux « Délices du Dragon » et aperçut l’ambulance garée sur le bas-côté, les gyrophares tournaient. Ce qu’elle appréhendait depuis le début était arrivé. Elle jeta son vélo et se précipita dans l’ambulance se préparant au pire. Elle voulait voir comment allait sa sœur. À la place, Lin vit un homme, monstrueusement gras, assis sur le brancard avec un masque à oxygène et une perfusion dans le bras. Elle entendit rapidement les médecins parler d’une queue de crevette passée de travers. « Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Où est Ming ? » Elle tentait de pénétrer dans le restaurant en hurlant « Ming où est ma sœur ? C’est ma sœur ! Laissez-moi entrer. » Les flics l’en empêchèrent. Une hystérique pareille, hors de question de la laisser passer. Lin, à travers son flot de larmes vit au fond une personne qui ressemblait à Ming et effectivement c’était bien elle qui fut très surprise de voir sa petite sœur débouler et mal en point au restaurant. Elle fit signe aux agents de la laisser passer.
— Lin ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? demanda-t-elle en regardant ses blessures.
Lin s’effondra de tout son long dans les bras de sa sœur, soulagée de la savoir en vie, elle eut un mal fou à retrouver la parole. Elle pressentait que le pire restait à venir.
Au bout de quelques minutes, Ming réitéra,
— Lin, tu vas enfin m’expliquer ce qu’il se passe ? Il faut que je retourne bosser.
 — C’est Wu… il… il a pris Bao, dit-elle en sanglotant.
— Bah oui je sais, je lui ai demandé de le prendre avec lui. Je lui ai dit de te prévenir, répondit-elle spontanément. Tu n’as pas eu son message ? Le restaurant avait besoin de moi.
Je commençais mon service plus tôt alors, il est parti emmener Bao à Colombus Parc pour jouer en m’attendant. Je pensais qu’il t’avait appelée.
— Lin tu es sûre que tout va bien ? lui demanda-t-elle lorsque cette dernière la serra dans ses bras. Et puis qu’est-ce que tu t’es fait à la tête ?
— Je… je il faut que je te dise quelque chose… il a tué Zian.
— Mais qu’est-ce que tu racontes ? Il vient de m’appeler pour que l’on se voie après mon service. 
— Ce n’est pas possible Ming, je viens de le voir, répondit Lin.
— Tu m’inquiètes Lin tu as pris tes médicaments ? Tu es en pleine crise ! Tu me fais peur.
— Ming… c’est Wu. Il te tend un piège, dit-elle effondrée. Il a déguisé sa voix pour te tuer. Il a tout découvert. Ta liaison, les draps en sang. J’ai tout vu au Lavomatic.

Lorsque l’officier Kim Ball avait récupéré l’adresse du restaurant où travaillait Ming, les deux officiers avaient suivi tout bêtement l’ambulance qui se dirigeait au même endroit. Pure coïncidence, certes. Ils auraient pu même arriver plutôt s’il n’y avait pas eu ce stupide accident avec un cycliste à l’angle de la 8ème avenue. Un bouchon s’était formé et ils avaient perdu du temps. Mais en arrivant sur les lieux quelques instants après, avant même qu’il ait eu le temps de s’entretenir avec Ming, Kim Ball se demandait si la providence n’était pas avec lui en voyant débouler au loin un vélo à toute vitesse. Effectivement, Mr Wong ne s’était pas trompé dans sa description. C’était bien la jeune femme du Lavomatic avant même d’avoir la confirmation. Il savait à qui il avait à faire.
Chang Li, pendant ce temps, avait pris un appel radio qui signalait la présence d’un suspect au sein de Columbus parc qui corroborait avec les détails entre la description et le portrait-robot établi par son équipe au bureau. Il s’assurait que c’était bien lui avant de procéder à une interpellation. Surtout qu’au parc, il y avait beaucoup de monde. Aucune prise de risque. Pas d’autre bavure. Pas cette fois-ci. La seule qu’il avait commise dans sa vie lui avait valu une rétrogradation. Il attendit donc l’accord de son chef qui lui accorderait probablement le renfort du SWAT, au minimum. C’était quand même un membre de La Triade.
Chang allait faire part des dernières nouvelles à son coéquipier, quand il l’aperçut devant l’entrée du restaurant en compagnie d’une hystérique, qui forçait Kim à se pousser. Elle était mal tombée la pauvre. Physiquement Kim était un bloc taillé dans la pierre. Il lui fit donc un signe discret pour lui parler. Mais avec la folle collée à lui, ce n’était pas chose facile
— J’attends le feu vert pour aller sur Colombus Parc. Apparemment, il est là-bas, lui glissa-t-il, mais il fut coupé par Lin.  
— Oui c’est ça, il est là-bas. Il tient Bao en otage, faut y aller, je sais qui c’est ! dit-elle complètement ahurie.
— Qu’est-ce qu’elle raconte l’illuminée ? dit Chang s’adressa à Kim.
— Il tient Bao en otage au parc. Il veut tuer ma sœur et mon neveu, vous êtes sourds ou quoi ? beugla-t-elle. Chang s’adressait à Kim :
— Mais de qui elle parle ? Et puis c’est qui Bao d’abord ? dit-il complètement largué.
 Lin, à bout de force et ne pouvant plus contenir tout ce qu’elle avait découvert, craqua et leur déballa le tout. La plaisanterie du jeu. Les menaces de Wu mises à exécution. Les draps ensanglantés. Ming en danger. La prise d’otage de Bao.
La sonnerie du portable de Chang se déclencha. Il s’écarta plus loin pour répondre. C’était la confirmation de son chef pour appréhender Chow Lee, le membre de la Triade le plus recherché de ces dernières semaines. Celui qui sévissait dans le quartier en éliminant des membres des Ghost Shadows de la façon la plus ignoble. Cette guerre des gangs et cette surenchère se résumaient à ceux qui prendraient le contrôle du quartier au plus vite. Il avait été aperçu pas loin des jeux d’enfants à Colombus parc. Il lui attribua une équipe parallèle de quatre membres du SWAT.
Chang était aux anges.
En raccrochant, il fit le signe du pouce à Kim qu’il fallait bouger rapidement.
— Alors vous voyez, j’avais raison ! Il est bien au parc. Emmenez-moi avec vous, je vous en supplie. Je veux récupérer mon neveu, dit-elle les suppliants.
Chang n’était pas du tout de cet avis et voyait d’un mauvais œil que cette folle les accompagne sur un lieu d’interpellation. Mais Kim s’apprêtait encore à jouer le bon samaritain. Il regarda Chang : après tout pourquoi pas ?
Tellement convaincante pour l’un, tellement loufoque pour l’autre, la version de son histoire ne tenait pas debout. Son bonhomme n’avait rien avoir avec le Chow Lee de la mafia chinoise.
Finalement, les deux officiers ne sachant calmer le phénomène l’embarquèrent avec eux la sommant de se taire. Ils refirent le point à distance avec l’équipe déjà sur place au parc, réglèrent les derniers points de détails pour appréhender leur suspect. Chang n’était pas à l’aise de trimballer Lin. Il ne sentait pas du tout cette histoire. Persuadé d’avoir commis une bévue, il devint nerveux. Lin était convaincu que les policiers se trompaient de cible et espérait pouvoir coincer celui qui avait tué l’amant de sa sœur et récupéré son neveu.
Lorsqu’ils arrivèrent devant Colombus Parc, Chang donna les dernières consignes par radio à son équipe et aux hommes des Forces Spéciales avant l’intervention. Pas de tir tant que la cible n’était pas clairement isolée. Compte tenu de l’affluence dans le parc, Chang ne voulait aucune prise de risque. Pas de fusillade. Juste une balle pour immobiliser.
 Une interpellation nette et propre. Au dernier rapport de son équipe, l’homme errait vers un groupe d’adeptes de Tai-chi, qui exprimaient tout leur talent en plein air. La consigne pour Lin était de rester dans le véhicule de police attendant la fin de leur interpellation et de ne pas bouger bien évidemment. Seulement, quand elle aperçut le petit Bao par la fenêtre arrière, elle ne put résister davantage. Elle quitta la Ford Crown Victoria et se précipita vers lui.
Elle le voyait rire aux éclats sur la balançoire. Il était heureux, pas du tout perturbé d’être pris en otage. Pour Lin, Wu faisait diversion pour ne pas attirer l’attention des flics. Elle le savait. Elle avait compris comment il fonctionnait avec tout ce qu’il avait manigancé. Elle frisait la folie et tremblait de chaud, de froid. Ses jambes flageolaient et sa tête la lancinait. Cette journée lui paraissait interminable. Elle avait perdu la notion de temps. La notion de tout. Oui, elle aurait dû prendre ses pilules. Mais elle ne l’avait pas fait. Elle s’était sentie bien ce matin, pourtant. Mais son traitement était à vie. Sans exception. Depuis son adolescence, Lin souffrait d’un trouble mental. Sa pensée se déréglait. Sans qu’elle en ait conscience, elle transformait le sens de la réalité. Et surtout interprétait des faits faussement erronés.
Les médecins avaient qualifié cela de psychose paranoïaque aiguë. 
Elle se rapprocha de l’enfant, mais ne distingua pas Wu, le père de l’enfant. Lin avançait vers Bao. Quand Chang l’aperçût dans ses jumelles, il se demanda s’il ne rêvait pas. Nom de Dieu, elle allait faire capoter son opération. « Qu’est- ce qu’elle fout bordel ? ». Planqué dans les buissons non loin d’un groupe de seniors qui pratiquaient le Tai-chi, il pouvait à peine chuchoter dans son talkie-walkie de peur que le bruit n’attire l’attention. Il maudissait son coéquipier Kim. C’est à cet instant que Chow Lee décida d’apparaitre dans son champ de vision. Il se dirigea vers les balançoires. « Non, mais ce n’est pas vrai, ils le font exprès où quoi ? » pensa Chang. Un de ses hommes déclencha la fréquence pour obtenir l’ordre de tirer, car il était dans son viseur. Une formidable opportunité. Chang était complètement crispé.
 Sa prise de décision était retardée à cause de cette femme en pleine crise de paranoïa qui errait comme un zombie dans un parc. Rien ne présageait de bon. Pour couronner le tout, Kim le bipa sur son portable pour savoir pourquoi il ne donnait pas l’ordre de tirer.
Chow dépassait les buissons et avançait vers le terrain de jeu d’enfants, caché par quelques arbres. Kim pressa Chang de donner l’ordre. Lin ne prêta même pas attention à Chow qu’elle venait de croiser. Les deux étaient dans le même champ de tir, les tireurs d’élite attendaient le doigt sur la gâchette. Elle venait de voir Wu qui, adossé à un arbre, regardait Bao s’élancer sur sa balançoire. Elle hurla aux policiers qu’elle avait repéré le tueur et kidnappeur en pointant dans sa direction. Un mouvement de confusion jaillit pendant quelques minutes. Les adeptes du Tai-chi se dispersèrent. Le petit Bao voyant sa tante Lin courut vers elle.
Wu ne comprit rien de ce qu’il se passait. Des flics sortirent des buissons. Chow lui, tentait de prendre la fuite en même temps que les petits vieux. Kim avait toujours en ligne Chang qui ne réagissait pas.
Au risque d’une interpellation ratée, il ne voulait pas manquer la cible, alors il sentit ses nerfs l’abandonner et donna l’ordre. Kim relaya l’information à ses hommes qui n’hésitèrent plus une seconde. Seulement Chow se retrouva dans le même axe de tir que Lin, cette dernière agenouillée près de son neveu, se releva pour le porter dans ses bras. Kim voyant la scène au ralenti sut qu’il était trop tard. Elle se prit une balle en pleine tête. Lâchant le petit Bao, aspergé de sang et choqué, Lin s’écroula. Kim se précipita vers elle, impuissant, la priant de tenir le coup. Mais trop tard. Elle leva les yeux vers la cime des arbres, mais Dieu ne fit pas un geste dans sa direction.


Retrouvez l'interview de Marie C.:
"L'auteure de "Et si...", se livre sans tabous !"




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